« ... ce qui culmine sur la joie et peut-être même sur une manière d'extase incompréhensible, c'est le REGARD. Non pas le regard du contemplateur, qui n'est qu'un miroir. Mais le regard actif, qui va vers l'autre, qui va vers la matière, et s’y unit. Le regard de tous les sens, aigu, énigmatique, qui ne conquiert pas pour ramener dans la prison des mots et des systèmes, mais qui dirige l’être vers les régions extérieures qui sont déjà en lui, et le recompose, le recrée dans la joie du mystère devenu demeure.» J.M.G. Le Clézio, L'Extase matérielle

torsdag 31. oktober 2024

Rencontre avec J.M.G. Le Clézio lors du lancement de Diego et Frida en Norvège

L’Attribution du Prix Nobel à Le Clézio en 2008 a relancé les traductions de ses livres en Norvège . Lors de la publication de Diego et Frida en norvégien, la maison d’édition Cappelen Damm a invité Le Clézio à une rencontre dans ses locaux et m’a contactée pour réaliser l’entretien. Ce fut avec une grande joie que j’ai accepté l’immense honneur de préparer un entretien avec l’écrivain sur lequel je travaille depuis 1992. 

La veille de l’entretien, j’ai eu le grand plaisir de rencontrer Le Clézio pour un repas avec les représentants de la maison d’édition ainsi que le traducteur de Diego et Frida. Le restaurant se trouvait au sommet de la colline au-dessus d’Oslo et offrait une vue panoramique sur le fjord. Le Clézio s’est assis à notre table, il a commenté la beauté paisible du fjord, où le ciel bleu se reflétait et les voiliers se distinguaient comme des multiples points blancs mouvant paisiblement. Il a évoqué son premier voyage en Norvège à l’âge de dix ans, lorsque son père l’y avait amené découvrir Bergen. Il a ensuite fait référence à l’écrivain norvégien Johan Bojer, qu’il avait lu dans sa jeunesse et dont un roman – Le Caméléon – lui avait laissé un souvenir inoubliable. Depuis ma lecture, au début des années 90, de son entretien avec Lhoste, où il évoque cette lecture de jeunesse, je rêvais de lui offrir, à l’écrivain qui a tant compté pour moi et ma formation littéraire, ce livre qu’il avait tant aimé. Grâce aux bouquinistes et à internet j'ai pu me procurer la version originale norvégienne ainsi que sa traduction française. L’instant où il se mit à feuilleter les deux livres devant moi, touché de retrouver les émotions de sa lecture d’enfance, demeure pour moi un moment quasi irréel et inoubliable. 

 Le jour de l’entretien les photographes se sont regroupés devant la porte, j’ai entendu un “Ah, il arrive…” du public, puis Le Clézio s'est montré, à l’aise devant son public norvégien. 

 Aux questions concernant sa motivation pour l’écriture, il répondit en relatant avec générosité son enfance pendant la guerre, quand sa grand-mère racontait des histoires pour lui et son frère, faisant naître en lui la nécessité d’inventer des personnages et des lieux pour réduire l’angoisse et la douleur causées par la présence de la guerre, et pour remédier à une certaine solitude. « C’est elle qui m’a donné l’envie d’écrire », dit-il, et c’est avec émotion que nous avons écouté l’expérience de l’enfant qui, séparé de sa grand-mère, pensait qu’il n’allait jamais la revoir et qui s’est décidé alors à écrire ses propres histoires, à bord d’un bateau en direction de l’Afrique : ce fut la genèse d’ « Oradi noir » et d’« Un long voyage », dont nous trouvons des extraits dans Le Déluge et Onitsha. Il a ensuite évoqué ses tentatives d’écriture d’un polar en anglais dans la jeunesse, et enfin le contexte de la création du Procès-verbal. Lorsque je lui ai demandé si le tournant de son écriture marqué par un intérêt croissant pour les sociétés non européennes à partir du Livre des fuites reflétait une expérience personnelle, il a répondu que ses écrits constituaient des journaux de bord où se cristallisaient ses idées et expériences. De toutes ces expériences, la rencontre avec la société Embera représente un moment essentiel de sa vie: « Cela a changé mon esprit, ma façon de percevoir les choses », dit-il, « j’ai été comme lavé de quelque chose de très douloureux. » 

La motivation d’écrire Diego et Frida provenait du désir de décrire l’amour passionné entre ces deux êtres, ainsi que leur participation à la révolution mexicaine. Frida lui apparaît comme une révolutionnaire très dévouée, plus radicale que son mari. 

Interrogé sur l’amour tourmenté du couple, il le définit comme un amour tragique et l’explique par leur différence de personnalité : « Diego était en quelque sorte amoureux de lui-même, Frida dévouée à lui comme s’il était une sorte de demi-dieu », dit-il. « L’amour de Frida était total, elle se donnait sans calculer, sans restrictions. Quand elle voulait quitter Diego, il essayait de la séduire à nouveau, c’était toujours la même danse ». Il établit ainsi un parallèle entre leur vie de couple et l’histoire du Mexique; « ils agissaient comme dans la danse du conquérant et du conquis, le gagnant et le perdant. » Il cite à cet égard un proverbe selon lequel dans une guerre, le perdant est le perdant, mais le gagnant est perdu : « Diego était perdu, quand Frida est décédée, il ne pouvait pas lui survivre ». 

J’évoque alors les parallèles qu’il établit fréquemment entre la création artistique et la sensualité, en citant à ce propos ce passage de Diego et Frida : « leur pensée est au bout de leurs mains, dans leurs regards, Ils ne manient pas des concepts, ni des symboles, ils les vivent dans leur corps, comme une danse, un acte sexuel », et lui demande s’il considère que leur approche sensuelle de l’art constitue un fondement de la qualité de leur œuvre. 

« Frida exprime elle-même, elle se donne elle-même, malgré sa maladie », répond-il, et il souligne une qualité de sa création en l’opposant à celle de son mari : « elle montrait une radiographie de son âme, et c’est pour cette raison que son art a tant d’effet sur nous ; nous rentrons dans une communication ouverte avec son esprit et son âme. Alors qu’avec Diego, il faut connaître la révolution et sa conception de l’art pour apprécier son art ». 

Je commente ensuite la ressemblance entre Frida et d’autres personnages féminins de Le Clézio – telle Lalla de Désert et Laïla de Poisson d’or –, leur lutte commune pour la survie, si intimement liée à une manière passionnée de vivre l’art. A la question : l’art peut-il contribuer à améliorer les conditions des femmes, à leur émancipation ?, il répond : « Je pense le contraire, que l’art s’améliore avec la présence des femmes. L’art peut seulement bénéficier de la participation des personnes ayant une volonté forte de combattre le destin, elles ont quelque chose à donner et à dire, et il faut les écouter. » Il insiste sur la nécessité d’un équilibre entre le féminin et le masculin et se réfère à une figure de la société aztèque, le dieu du féminin et du masculin, destinée à réaliser la création. « On disait de la société tehuana qu’elle était le paradis sur terre, » dit-il, « le seul endroit où l’homme et la femme étaient égaux. Pour promouvoir cette idée, Frida s’habillait comme une femme tehuana ». 

« Cette petite femme arrivait à donner à cet homme la vraie signification de l’amour », dit-il à propos de Frida, et il nous invite à voir en elle le symbole de la force féminine cachée et invincible: « Quand vous rencontrez une femme âgée ou estropiée, il faut penser à la volonté de cette femme ... ceci est une de mes contributions ». 

 Après l’entretien, les questions diverses du public se sont succédé : sur l’Ile Maurice, sur les langues menacées de disparition, sur les genres romanesque et biographique, sur la documentation pour écrire Diego et Frida. 

Le Clézio a expliqué comment il avait réuni des informations, non seulement par des lectures mais aussi en parlant avec des gens qui connaissaient le couple, tel le jardinier, qui avait évoqué leur style de vie, les plantes qu’aimait Frida, sa façon de parler aux animaux. À la question sur ce qui différencie son livre des autres livres existant déjà sur ce couple d’artistes, il dit qu’il reflète son être mexicain : « Je voulais écrire mon amour pour le Mexique. » 

En parlant de sa relation à l’Ile Maurice, il explique qu’il s’est senti concerné par l’histoire sombre du colonialisme. « Ma famille en était consciente », dit-il. « Je crois que mon père voulait rembourser une dette, pour ce qui s’est passé à l’île Maurice, en se rendant en Afrique comme médecin ». La francophonie constitue selon lui un remède contre cet héritage sombre. 

Vers la fin de l’entretien, il revient aux histoires racontées par sa grand-mère, soulignant les leçons qu’il en a tirées : c’est elle qui lui a appris à raconter le tragique de la vie avec humour, que l’écriture nous donne la volonté de continuer et la confiance en la vie. 

Il s’adresse ensuite d’une façon chaleureuse au public pour nous remercier de ce moment de partage, ce moment de présence : « La présence, ce sont les moments intemporels dans la vie », dit-il, se référant à Wittgenstein, pour conclure : « nous avons passé un moment intemporel. » 

Dans le prolongement de cet entretien, j’ai pu constater que son œuvre pouvait favoriser une rencontre interculturelle des femmes, ceci en discutant avec des lectrices norvégiennes de Diego et Frida, notamment dans le cadre des cercles de lectures auxquels j'ai été invitée. La mise en récit de la condition de la femme dans l'œuvre leclézienne reflète une composante fondamentale de toute lecture de qualité, à savoir le va-et-vient entre identification (par la proximité de l'expérience) et altérité (permettant une perspective plus large), ce mouvement d’alternance qui favorise une prise de conscience et une ouverture sur le monde: car Frida a certes des qualités extraordinaires, voire exotiques, pour des lectrices européennes, mais on se reconnaît dans sa soif d'indépendance, d'amour et d'épanouissement artistique. La structure binaire de certains récits lecléziens contribue, me semble-t-il, à valoriser pour le lecteur une rencontre interculturelle. Un exemple récent qui me paraît particulièrement significatif à cet égard est la nouvelle « L.E.L., derniers jours» ; l’histoire dramatique de la poétesse anglaise Letitia Elizabeth Landon qui, en compagnie de son mari George MacLean, gouverneur de la colonie britannique, quitte l’Angleterre pour aller vivre au Ghana, dans l’espoir d’échapper à un sentiment d’étouffement dans son milieu londonien, pour découvrir à son arrivée que son mari a eu une maîtresse noire avec qui il a eu un enfant qu’elle décide d’aller rechercher; cette histoire émouvante, où se mêlent mythes et réalisme historique, raconte avec beaucoup de nuances psychologiques la rencontre d’une jeune femme européenne, d’esprit ouvert et aventurier, avec l’histoire et la culture africaine. 

De cette rencontre riche en émotions, je retiens surtout l’enthousiasme souriant de Le Clézio lorsqu’il a évoqué l’influence de sa grand-mère, son intense concentration lorsqu’il a feuilleté le livre de Bojer, ainsi que son regard rêveur à l’évocation de son voyage en Norvège enfant ou devant la paix du fjord d’Oslo. C'est avec une double émotion que je pense aujourd’hui à cette rencontre, sachant qu'un an après cette journée ensoleillée et calme, la paix fut rompue dans la ville d’Oslo par un acte de haine et d'intolérance d’une violence inouïe. Même si la paix s’est réinstallée sur le paysage d’Oslo depuis, je ne cesse de revenir à la pensée qu'en tant que formateur et chercheur en littérature nous pouvons agir pour combattre l’intolérance et le narcissisme destructeur, en amenant les gens vers la littérature d'une manière qui stimule la part la plus noble de l'être humain, à savoir l’empathie, la possibilité de coprésence inclusive et participante. L'œuvre leclézienne y contribue avec nuances et richesse, et nous, lecteurs, enseignants et chercheurs explorant son œuvre, avons le privilège de mettre en lumière ses multiples voies. 


Texte initalement publié dans Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio 6, 2013

tirsdag 14. april 2020

Le cinéma: « Viser le point sensible sans que l’esprit de veille ait eu le temps de parer le coup » – Ballaciner de J.M.G. Le Clézio

Depuis les indications scéniques du Procès-verbal, les allusions au septième art sont nombreuses dans l’œuvre de Le Clézio. Une focalisation se servant de «gros plans», de « travellings », de « zooms » relie l’écriture du Procès-verbal à celle de Désert et Onitsha.Le cinéma, qui avait donné à l’écrivain «le goût du réel», l’obligeant « en quelque sorte à composer un tableau mécaniste et phénoménologue de l’homme plutôt que métaphysique » , lui sert aussi de métaphore d’une vision du monde. Dans Hasard, il nous présente un cinéaste qui perçoit le monde comme une mise en scène. « C’est si beau », s’exclame la protagoniste du roman, éblouie par le luxe d'un grand restaurant, « on dirait un décor de cinéma ! – Mais, c’est du cinéma justement. »

La magie du cinéma, terme utilisé par l’écrivain dans une préface aux Années Cannes, publié à l’occasion du quarantième anniversaire du festival, provient de sa capacité de nous rendre notre enfance, cette première impression du monde : possibilité de s’évader, « machine à rêves, me permettant de m’approprier cette autre réalité, plus vivante (...) » . Son efficacité réside dans son immédiateté, sa capacité à « viser le point sensible sans que l’esprit de veille ait eu le temps de parer le coup »

Vingt ans après cette publication, Le Clézio nous propose, dans Ballaciner – le néologisme du titre provenant de l’amalgame des mots « balader » et « cinéma » – « une balade de visage en visage, de film en film », dans le but de retracer les moments forts liés à la première rencontre avec un monde nouveau. Ce parcours se présente comme les étapes d’initiation à un art dont les facettes se dévoilent au fur et à mesure de sa découverte de nouveaux films.

L’enfance sera alors placée sous le signe du rire, du gag, en particulier ceux d’un Harold Lloyd, accroché aux aiguilles de la pendule de la façade d’un grand magasin, ou effectuant une poursuite à travers San Fransico sur le toit d’un tramway. Des scènes vues et revues qui inscrivent son enfance dans un contexte culturel commun. C’est aussi le récit personnel d’une découverte qui se réalise dans l’appartement de sa grand-mère, grâce à un projecteur à manivelle et un drap blanc accroché au mur.

Ses analyses d’œuvres cinématographiques nous permettent de découvrir les raisons de sa fascination, mais aussi d’inscrire les scènes de ses romans dans un contexte fait de références intertextuelles au sens large du terme.

 Quant il évoque sa découverte des Contes de la lune vague après la pluie, il explique sa fascination non seulement à la lumière des qualités techniques du cinéaste japonais, mais aussi à travers les réminiscences que l’œuvre de Mizoguchi ont créées dans son esprit : « Dans cette vallée abandonnée (...) je peux reconnaître la vallée où j’ai vécu pendant la guerre. Le même froid, la même gêne, la même faim, et surtout cette rumeur d’une guerre invisible et proche à la fois » (p. 71). Sa lecture des scènes du film japonais suscite alors en nous, lecteurs de ses romans, d’autres réminiscences : les paysages de guerre évoqués dans Étoile errante.

La possibilité de dépaysement, d’évasion, semble, pour l’écrivain, conduire à la découverte de soi. «Alors j’oubliais que ces êtres humains étaient japonais », dit-il, « qu’ils parlaient un autre langage, qu’ils vivaient selon d’autres modes. J’étais dans leur monde, ils faisaient partie de moi-même comme je faisais partie d’eux. »

L’évocation de son initiation au septième art rejoint ainsi l’autobiographie, lorsque le cinéma italien se présente, pour le jeune Le Clézio, comme une façon de se dire, de se situer dans le monde, formuler une révolte. « Nous sortions dans la rue après la projection, le cœur battant, » dit-il, en évoquant sa découverte du cinéma italien (De Sica, Lattuada, Visconti, Bolognini, Fellini, Antonioni), « avec l’impression qu’un combat se poursuivait, et que nous devions y prendre part. » (p. 83) Sa fascination pour le cinéma italien réside aussi dans un processus d’identification. Accattone de Pasolini, déclenche en lui un sentiment de familiarité avec la ville mise en scène : « cette Rome de 1960 était ma ville », dit-il, « celle où j’ai grandi, celle où je vivais » (p. 86).

D’autres regards sur le monde s’ajoutent alors : celui d’un Bergman qui « rêve sur les paysages marins (...) dans une impression de début du monde mêlée de mélancolie. » (p. 111) Celui du cinéaste iranien Mohsen Makhmalbaf dans le film Le Cycliste est présenté comme le symbole de la renaissance du cinéma engagé. La victoire finale du cycliste Nassim, défiant un pari, était  «celle de tous les déshérités » (p. 136). « Le cinéma demain sera-t-il coréen ?» s’interroge-t-il, en nous présentant, à la fin du parcours, les entretiens avec deux cinéastes représentants du « jeune cinéma coréen » : Park Chan-wook et Lee Chang-dong.

Au terme de cette balade, l’écrivain revient sur sa jeunesse en évoquant les lieux de sa découverte : le ciné-club Jean Vigo à Nice ; l’ambiance des séances, les discussions, la formation au langage cinématographique. « Il faudrait », dit-il, « retrouver la longueur du temps de notre adolescence, aller au cinéma l’après-midi (...) quand le soleil est fort et que l’ombre des cinés est chargée d’odeurs et de langueur. (...) Rêver, tomber de nuage en nuage, au gré des images. » (p. 164)

Dans Ballaciner, souvenirs personnels et analyses de films essentiels dans l’histoire du cinéma se mêlent, offrant ainsi au lecteur cinéphile des moments de réminiscences, échos peut-être de ses propres découvertes. Ce livre permet aussi de retracer des moments essentiels de la formation artistique de l’écrivain ; il constitue ainsi un outil précieux pour mieux comprendre la genèse de l’oeuvre leclézienne. 


Texte initalement publié dans Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio 1, 2008.

tirsdag 13. mars 2012

Le blog - en lisant en écrivant

Le blog est une merveille à multiples facettes et usages. Il permet de refléter une recherche qui se réalise dans un mouvement simultané de lectures, discussions, réflexions et écriture, grâce à sa structure ouverte et interactive. Telles sont les attentes qui ont déclenché en moi un jour le désir de créer un blog. Les esquisses de travail, les essais, qui constituent le cheminement vers un résultat, scientifique ou créatif, restent souvent inexploités du fait qu’ils ne sont jamais partagés, ce qui privent leur auteur d’un feed-back stimulant. C’est l’idée de pouvoir partager un cheminement de recherche qui a suscité ma curiosité devant ce phénomène, qui emprunte ses qualités à de genres divers, et dont le trait le plus séduisant est peut-être justement sa capacité d’amalgamer des genres classiques (le reportage, la lettre, le journal intime) dans une nouvelle forme à la fois personnelle et universelle.
C’est un essai de Julien Gracq qui a inspiré le choix du titre : En lisant en écrivant, ce double mouvement, exprimé à travers le double gérondif, sans virgule séparant les deux verbes, pour évoquer un mouvement d’inspiration réciproque.
« On écrit d’abord parce que d’autres avant vous ont écrit », dit-il.
Lire un texte enrichissant produit une prise de conscience. Il s’agit souvent de reconnaître dans un texte un reflet de soi-même, un point obscur de notre vie que l’on n’a pas encore eu la possibilité de verbaliser.
Une lecture enrichissante conduit souvent aussi à l’envie d’écrire.  Aucun écrivain ne m’a jamais donné une telle envie d’écrire que Georges Perec. La découverte de son œuvre, par une soirée d’automne en 1990, alors que je préparais une maîtrise de Lettres Modernes, constitue le moment le plus libérateur et stimulant de ma formation littéraire.  
« De lire cet écrivain constitue une forme de catharsis » m’a confié un de mes étudiants un jour, c’était peut-être justement à propos de Perec. « Toute lecture ne devrait-elle pas se réaliser ainsi ? »
La résonance que le texte produit en nous n’est pas forcément thématique, il peut être question d’une scène ou d’une métaphore bouleversante qui se fusionne à notre propre expérience et l’adopte, il peut s’agir d’un rythme, d’une simple phrase, telle la phrase de Proust qui avait permis au lauréat du Prix Nobel de littérature J.M.G. Le Clézio de découvrir toute une œuvre : « C’était la phrase évoquant le timbre de la sonnette du jardin qui retentissait à l’arrivée de Swann, dans Du côté de Chez Swann, » nous confie-t-il dans un entretien. « Cette sonnette-là m’a éveillé ; là était pour moi aussi sans doute l’entrée. »